Local n’est pas lowcost
Ces derniers jours on m’a régulièrement demandé mais « pourquoi le local c’est plus cher ? ». Cela implique plusieurs réflexions, le local c’est quoi, ça veut dire quoi « cher », comparé à quoi, pour qui, etc… On va donc parler de l’évolution en Suisse du « panier-type » et de « l’indice des prix à la consommation (IPC) qui existe également sous forme harmonisée avec l’Europe (IPCH) ». Vous trouvez tout ces chiffres sur le site de la Confédération je vous ai mis les liens direct sur les mots soulignés. Pour comprendre plus en détail ces chiffres vous pouvez également aller voir ici comment sous calculés ces graphiques en utilisant comme base un revenu et une dépense des ménages « moyens ».
On peut voir sur le « camembert IPCH » que l’alimentation et boissons non alcoolisées représentent 10.647% des dépenses du ménage. Viennent se rajouter 2.8% pour l’alcool et le tabac et on remarque que les dépenses restaurants et hôtels sont à 9.27% soit quasiment l’équivalent de l’alimentation.
On notera également que le logement et l’énergie est en pôle position des dépenses 21,6 %, suivi de la santé 16,5% et des transports 12,07 %. Ce qui est intéressant également c’est de voir que les loisirs et la cultures représentent 7.6% des dépenses.
Ces chiffres sont évidemment à prendre avec des pincettes et tout le monde ne vit pas sur le même modèle il est cependant intéressant de voir la répartition de nos dépenses moyennes. Sur l’image suivante nous allons nous intéresser à l’évolution de ces chiffres depuis 1939…
Au niveau de l’alimentation on voit qu’en un peu moins de 100 ans le budget alimentation a été divisé quasiment pas quatre, le budget habillement également divisé par trois et on voit une flambée du budget « santé » qui se multiplie par 8, des transports et communication qui coûtent trois fois plus cher et des loisirs qui triplent presque.
Certes les salaires ont également évolués depuis 1939 et l’inflation ne s’arrête jamais. Le but de mon article n’est pas de faire une analyse économique sur la fluctuation du pouvoir d’achat mais bel et bien de vous mettre en évidence le poids de l’alimentation dans votre budget ainsi que son évolution.
Source de l’image: Le site de Agroscope
J’aurais pu mettre également la pyramide des besoins de Maslow dans les illustrations pour compléter cette introduction. En Suisse à l’heure actuelle l’envie à dépasser les besoins selon moi. Le coût, la valeur, tout est relatif et cela peu importe votre salaire. Le marketing est passé par là, son rôle inofficiel est de vous faire désirer quelque chose dont vous n’avez pas besoin. Internet et les réseaux sociaux sont venus renforcer cette idée que l’herbe est plus verte chez le voisin, qu’il nous en faut toujours plus, toujours mieux et que nous ne sommes pas assez. L’avoir a remplacé l’être et le futile a remplacé le nécessaire, on focalise sur ce qui nous manque et on oublie ce que nous avons. Objectif plaisir immédiat, la facilité, la victimisation en lieu et place de l’effort, du développement et du résultat à long terme.
Je vais vous donner quelques exemples pour imager plus clairement mes propos:
- 30 minutes de lecture « j’ai trop à faire » – 30 minutes sur les réseaux sociaux « le temps passe trop vite »
- Formation XYZ 1’000 chf trop cher – Nouveau smartphone 1’000 chf « C’est le prix »
- 45 minutes de sport « j’ai pas le temps » – Un épisode de plus de notre série préférée « j’irais me coucher plus tard »
- Des produits frais et locaux 50 chf « trop cher » – Un fast food en famille 50 chf « c’est raisonnable »
- Prochaine voiture une automatique l’embrayage me fait mal au genou alors qu’il n’y a pas si longtemps on devait marcher ou prendre le cheval
- Diminuer 2° à la maison impensable, il n’y a pas si longtemps il y avait juste un poêle au salon…
- « J’ai le doit de voyager » pourquoi je ne prendrais pas l’avion j’ai travaillé « je mérite »…
- 20 chf un billet d’avion Genève-Espagne avec une compagnie low-cost VS 100 chf de parking pour le week-end à l’aéroport….
- etc….. etc…. on pourrait continuer encore longtemps.
Vous vous dites mais quel rapport avec l’agriculture, il déraille complet machin. Je ne suis pas entrain de chercher à vous faire culpabiliser ou vous dire que tout était mieux qu’avant je cherche à vous rendre plus conscient de ce qu’il se « cache » derrière un prix, des habitudes de râleurs que nous avons pris. Le bon marché oui mais à quel coût ?
Je vais vous présenter un exemple concret avec la tomate, les augmentations de charge dans les cultures, les coûts et le prix.
Quand on parle de tomate il faut déjà savoir de quel « sorte » ou type on parle, il y a plusieurs grandes catégories.
Tomate cerise – petites rouges ou colorées en grappe ou en vrac très sucrées
Tomates anciennes – Marmande, coeur de boeuf, etc… des tomates fragiles, goûtues, irrégulières et charnues
Tomates spécialités – Cocktail, couleurs, allongées, il y a de plus en plus de diversité dans les tomates
Tomate grappe – ronde – les tomates de base, rouge, ronde, plutôt croquante.
Dans ces mêmes familles il y a des variétés différentes par exemple la grappe A et la grappe B. Selon la variété cultivée le rendement va être fortement influencé et en règle générale il y a une règle plutôt basique, plus c’est bon, plus c’est difficile à produire et vis-versa. La grappe A peut avoir des fruits plus gros, couleur plus orangée, plus résistantes aux agressions extérieurs, moins de matière sèche et de taux de sucre elle va produire beaucoup de kg au m2 et avoir peu de saveur. Sa cousine la grappe B aura des fruits plus petits, plus rouge, plus sucrés, plus sensibles aux maladies mais nettement meilleur d’un point de vu gustatif. Le produit finit sera donc le même une tomate « grappe » pourtant on compare des pommes et des poires, il y a 30% d’écart de production entre ces deux variétés sans parler des coûts de production incomparable du faite de la sensibilité différentes aux agressions externes maladies et insectes. Les pommes on n’achète pas une pomme mais une Gala, une Golden ou une Granny voir une variété club comme la Jazz que l’on est prêt à payer un prix différent pour ses caractéristiques qui nous conviennent ou pas.
La tomate c’est un grand problème pour moi en tant que producteur ce manque de transparence pour le consommateur, on compare le prix d’un magasin à l’autre, parfois le mode de production, parfois le pays de production, parfois le type de tomate et très rarement la variété. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise, il y a des caractéristiques différents selon les variétés et les types qui vous conviennent ou non selon votre goût et selon ce que vous allez en faire. Une tomate farcie nécessite d’être ferme pour tenir à la cuisson et pas charnue afin de pouvoir la vider facilement, cette même tomate ne conviendra pas du tout (selon mes goûts) pour une salade caprese.
Pour imager avec des chiffres pour donner une idée, une tomate grappe coûte environ 5 chf le kg, une tomate ancienne environ 8-10 chf le kg, une tomate de petit calibre coûte environ 15 chf le kg. C’est « cher » 5 chf, un kilo ? C’est le prix quasiment d’un café dans un bistro… C’est « cher » 15 chf un kilo ? C’est le prix d’un cocktail dans un restaurant…
Ce même prix va varier selon le label qui aura un impact sur le coût de culture et le rendement, plus le label est restrictif plus le produit final va devoir être vendu avec un prix élevé.
L’emballage à une importance également au niveau du prix, plastique, carton, 1 étiquette, 2 étiquettes, en vrac, est-ce une emballage de 750g, du vrac, une barquette de 400g ou 500g. Plus l’emballage est petit plus le prix final sera élevé. Prenons les herbes aromatiques qui sont un bon exemple, 10 gr de basilic ciselé est vendu entre 1 et 2 chf la barquette… soit entre 100 et 200chf le kilo. Une botte de basilic frais au marché va peut être coûter le « double » à l’unité prenons 4chf au lieu de 2chf mais en réalité cinq fois moins cher au kilo ! La diminution du plastique est un gros challenge notamment pour la tenue des produits frais une salade ou une botte de radis non emballée va sécher très vite et donc augmenter les pertes en magasin et le gaspillage. Les caisses pliantes coûtent très cher également, nous payons une location à chaque utilisation de la caisse il est donc important d’optimiser le remplissage de celles-ci.
Forcément la marge du magasin aura un impact sur le prix. Cette marge ne sort pas d’un chapeau magique elle est calculée selon la stratégie commerciale. Le magasin est-il « joli » ou très simple, le choix de produit est-il large ou restreint, les produits sont locaux et frais ou importés, il y a de service, des collaborateurs et collaboratrices qui sont présents pour vous servir et vous aider ou les allées sont vides, la vente est en vrac ou « en gros ». Quelles conditions salariales et sociales sont proposées ? Le bâtiment utilise-t-il de l’énergie renouvelable ? Comment est payé le producteur par rapport au prix consommateur ? Beaucoup de question qui vont avoir un impact sur le prix d’où ma remarque précédente, le prix mais à quel coût ?
En Suisse nous avons des règles de production très strictes, qui diffèrent d’un canton à l’autre en plus grâce au fédéralisme. On prend les salaires qui représentent plus de 40% des charges de culture sur la tomate au Domaine des Mattines par exemple. A Genève le contrat type veut que nous ayons un salaire minimum de 25% plus élevé que certains cantons Suisse Allemand comme Zurich par exemple pour comparer deux villes et deux coûts de la vie à peu près similaire. Nous sommes sur un marché national où il est quasiment impossible d’obtenir un prix plus élevé qu’un autre canton alors que j’aurais besoin de 10% de plus que mon collègue Zurichois rien que pour absorber la différence de salaire. Il est donc important de favoriser les produits locaux et les labels de régions comme GRTA (Genève Région Terre Avenir). 25% d’écart entre deux cantons du même pays, quasiment 40% avec l’Europe le double et au minimum et près de vingt fois plus que le Maroc qui a un salaire minimum de 76 cts de l’heure…. L’impact sur le coût de revient est énorme, sans parler des exigences environnementales qui ne sont pas les mêmes!
Lorsque nous avons de nouvelles exigences environnementales ce sera forcément au détriment de la production. On augmente les surfaces de promotion de la biodiversité, on diminue les surfaces de production c’est mathématique. On diminue l’énergie, les solutions de protection des plantes, on augmente les maladies, les pertes, les risques de famine et les coûts. On nous demande de trouver des solutions renouvelables pour le « chauffage » des serres, sans parler de la complexité technique à trouver des solutions réalistes et couvrant 100% de nos besoin on parle de doubler le coût de l’énergie, qui représente environ 20-30% des charges de culture. Comment le faire sans avoir une meilleur rémunération ? Vous avez bien lu, main d’œuvre environ 40% des charges, énergie pas loin de 30%, il reste pas grand chose pour tout le reste,…. Eau, engrais, auxiliaires, matériel, entretien, investissement, assurance, transport, emballage, etc…. Qu’est-ce qui n’a pas augmenté en 2023?
Le transport coûte très cher en Suisse également, nous sommes le seul pays au monde à avoir une taxe poids lourd. Sur une salade par exemple un transport Genève-Zurich va représenter environ 20% du prix de revient. Est-ce que le camion est plein à craquer, est-ce une petite palette, est-ce que les caisses sur la palette sont remplies au maximum ou le standard du client est-il plus bas, exemple 12 ou 24 pièces de concombres dans la caisse aura un impact de plus de 10% sur le prix de revient.
Vous l’aurez donc compris les prix sont à la hausse, les salaires, tous les intrants nécessaire à la culture et les exigences sont de plus en plus strictes. Le prix des produits frais du pays n’ont pas beaucoup augmenté relativement aux hausses globales. Les produits transformés sont de plus en plus consommées, on gagne du temps on est prêt à payer plus pour cela, mais qu’est-ce qu’il en est de notre santé, de l’impact environnemental, veux-ton engraisses des multinationales ou investir dans les acteurs locaux. Aujourd’hui c’est le producteur qui trinque nous n’avons pas pu répercuté la réalité de la hausse des prix, les surfaces cultivées en 2023 sont en diminution car nous ne savons pas si ça va le faire. Nous sommes obligés d’investir, d’innover, d’essayer pour tenter de compenser cette hausse des coûts. Nous avons besoins de quelques centimes de plus pour nos produits nous ne parlons pas de doubler ou tripler les prix. Proportionnellement aux exigences de cultures que nous avons en Suisse, aux coûts de production élevés les produits frais ne sont pas cher. Pour nombre de fruits et légumes les prix en rayon frais sont plus bas qu’en France actuellement. Encore faut-il comparer des produits « comparables »…..
Il est urgent que le citoyen s’aligne avec le consommateur, de réaliser que nous avons de la chance de vivre dans un pays si beau, d’avoir une qualité de vie de ce niveau et qu’il est temps de redéfinir nos priorités. Nous sommes la génération avec l’espérance de vie la plus haute de l’histoire de l’humanité notamment grâce à la qualité de l’alimentation et pourtant proportionnellement à notre salaire cela n’a jamais coûté si peu
Encore une fois je vous remercie d’avoir lu mon blog, de favoriser les produits locaux et les produits frais!
La semaine prochaine je vous présenterais l’évolution du monde agricole depuis un siècle…
Jeremy